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    28 août 2017

    La loyauté dans l’administration de la preuve pénale

    L’arrêt de la chambre criminelle de la Cour de Cassation du 11 juillet 2017 (n°17-80.313)

    « Les coups bas sont interdits, les simples ruses de guerre ne le sont pas ».

    La formule du Doyen Carbonnier a récemment trouvé à s’appliquer devant la chambre criminelle de la Cour de Cassation… Et c’est suffisamment rare pour être souligné !

    En matière pénale, la preuve est libre et recevable dès lors qu’elle est contradictoirement discutée devant le juge.

    C’est le principe posé par l’article 427 du code de procédure pénale et maintes fois rappelé par la jurisprudence.

    Mais encore faut-il que, lorsqu’elle est administrée par un agent de l’autorité publique, celui-ci respecte le principe élémentaire de loyauté des preuves, corollaire du droit à un procès équitable.

    C’est la moindre des choses que la défense est en droit d’attendre d’un officier de police judiciaire : qu’il n’use d’aucun procédé déloyal, ni d’aucun stratagème et qu’il ne provoque pas à la commission d’une infraction qui, sans son intervention, n’aurait pas été perpétrée.

    C’était le cas dans cette espèce qui avait défrayé la chronique de l’automne 2015, dans laquelle Karim Benzema avait été mis en examen et se voyait reprocher d’avoir participé à une tentative de chantage menée à l’encontre de l’un de ses coéquipiers de l’Equipe de France de Football, Mathieu Valbuena.

    Celui-ci avait reçu le 3 juin 2015 l’appel d’un homme lui indiquant qu’il détenait un enregistrement vidéo à caractère sexuel le mettant en scène et lui proposant un « arrangement » afin d’éviter sa diffusion. Mathieu Valbuena avait déposé plainte le 8 juin 2015 et une enquête de flagrance avait été ouverte le même jour, confiée le 12 juin 2015 à la Direction Régionale de Police Judiciaire de Versailles.

    Or, à compter du 20 juin et jusqu’au 12 octobre 2015, l’un des commissaires en charge de l’enquête s’était « fait passer » pour un intermédiaire mandaté par le plaignant pour rentrer en contact avec les « maitres chanteurs », se présentant à eux sous un pseudonyme.

    A plusieurs reprises, il avait lui-même pris l’initiative de les contacter, de les relancer et d’évoquer les aspects financiers liés à la récupération de l’enregistrement.

    Il n’est pas anodin de souligner que ce fonctionnaire n’avait pas agi ainsi de son propre chef mais y avait été autorisé par le parquet de Versailles qui n’avait rien trouvé à redire à cette « déloyauté » fondamentale consistant pour un OPJ à se présenter sous une fausse identité…

    Saisie d’une requête en annulation, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Versailles avait elle-même considéré, dans son arrêt du 16 décembre 2016, que les agissements de ce fonctionnaire de police ne constituaient pas une provocation à la commission de l’infraction de tentative de chantage, dès lors que celle-ci, matérialisée dès le 3 juin 2015, préexistait à l’intervention policière et que le policier n’avait été qu’un interlocuteur afin de recueillir la preuve de l’infraction.

    Ce faisant, la Cour d’appel de Versailles considérait que s’il y avait eu ruse, il ne s’agissait que d’une « ruse de guerre » insusceptible de constituer une déloyauté fautive dès lors qu’elle n’avait pas influé sur les intentions des « maitres chanteurs » lesquels étaient déjà entrés dans un commencement d’exécution.

    Autrement dit, les agissements imprudents de ce commissaire ne les avaient pas déterminés à commettre l’infraction mais avaient en revanche permis de réunir des preuves contre eux.

    C’est ce raisonnement que la Cour de Cassation a censuré par son arrêt du 11 juillet 2017.

    En premier lieu, les magistrats ont rappelé, au double visa de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’article préliminaire du code de procédure pénale que « porte atteinte au droit à un procès équitable et au principe de loyauté des preuves, le stratagème qui en vicie la recherche par un agent de la force publique ».

    Ce rappel est salutaire.

    D’abord parce que ce principe de loyauté ne figure formellement dans aucun texte ni en droit interne – il est alors plutôt question d’équité, de contradictoire ou d’égalité des armes – ni même en droit international.

    Ensuite, parce que, dans les temps troublés et sous l’état d’urgence que nous connaissons, il est bon de rappeler que la constatation des infractions et la recherche de leurs auteurs ne sauraient tout autoriser de la part de l’autorité publique et de ses représentants.

    En deuxième lieu, la Cour rappelle, par l’évocation de la qualité de l’agent – « un agent de la force publique » – une distinction fondamentale qui fonde, depuis des années, sa jurisprudence en la matière.

    La preuve obtenue par un moyen illicite reste recevable devant une juridiction pénale lorsqu’elle est rapportée par une personne privée.

    C’est le principe érigé par la Haute Juridiction dans un arrêt du 15 juin 1993 – « Les juges répressifs ne peuvent écarter les moyens de preuve produits par les parties au seul motif qu’ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale. Il leur appartient seulement d’en apprécier la valeur probante » – et repris depuis, parfois dans d’autres affaires célèbres telles celle de ce majordome qui avait enregistré à son insu les conversations de son employeur fortuné :

    « Attendu que (…) l’arrêt relève notamment que ne peut être annulé un document versé en procédure qui est produit par un particulier, constitue une pièce à conviction et ne procède, dans sa confection, d’aucune intervention directe ou indirecte d’une autorité publique ; Attendu qu’en se déterminant ainsi la chambre de l’instruction a justifié sa décision dès lors que les enregistrements contestés ne sont pas en eux-mêmes des actes ou des pièces de l’information, au sens de l’article 170 du code de procédure pénale et comme tels, susceptibles d’être annulés (…) » (Cass. Crim. 31 janvier 2013)

    En revanche, parce qu’ils sont représentants de l’autorité publique, les fonctionnaires de police au même titre que les gendarmes, les fonctionnaires des douanes ou les magistrats ne peuvent avoir recours à de tels stratagèmes.

    Ont ainsi été jugés déloyaux, par exemple, l’enregistrement clandestin d’une conversation par un policier « qui élude les règles de procédure et compromet les droits de la défense » (Crim. 16 décembre 1997) ou encore la conjugaison du placement de deux gardés à vue dans des cellules contiguës préalablement sonorisées « qui constitue un procédé déloyal d’enquête mettant en échec le droit de se taire et celui de ne pas s’incriminer soi-même et porte atteinte au droit à un procès équitable » (Ass. Plén. 6 mars 2015).

    C’est précisément sur ce terrain-là que se situe la chambre criminelle dans son arrêt du 11 juillet.

    A la différence de la chambre de l’instruction, la Cour de cassation n’évoque pas la question de la provocation à la commission de l’infraction.

    Les magistrats se contentent de constater qu’un officier de police judiciaire s’est substitué au plaignant dans les échanges téléphoniques avec les auteurs de l’infraction supposée et qu’il s’est présenté à eux sous un pseudonyme pour considérer qu’il y a là une déloyauté.

    Et cette déloyauté est de nature à vicier la procédure et à porter atteinte au droit à un procès équitable dès lors que ces conversations, pour certaines interceptées, ont conduit à l’interpellation des mis en cause.

    Si l’utilisation d’une identité d’emprunt par un officier de police judiciaire est possible, c’est uniquement dans le cadre très contraint de la procédure d’infiltration prévue par les articles 706-81 et suivants du code de procédure pénale mais à laquelle il ne peut être recouru qu’en matière d’infractions susceptibles d’être commises en bande organisée et qui sont limitativement énumérés par les articles 706-73 et suivants du même code.

    Or, le chantage n’en fait pas partie.

    Dès lors, se « faire passer » pour un autre et user d’une fausse identité est bien un « stratagème » auquel ne peut avoir recours un agent de l’autorité publique, y compris pour rapporter la preuve d’une infraction préexistante.

    En définitive, par cette décision du 11 juillet 2017, la Cour de Cassation ne fait que rappeler une évidence : si la preuve pénale est libre, ceux qui sont chargés de l’administrer ne sont pas libres de tout…

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