7 mai 2019
Les management packages en disgrâce
Alors que 2018 se confirme comme une année record en termes d’actionnariat salarié [1] et que plusieurs pays européens font le choix de mettre en place des politiques incitatives, la France reste à l’écart en privilégiant la réduction de la dépense publique et la consommation des ménages [2] .
Et lorsque les tribunaux s’en mêlent, c’est la pratique même des management packages qui est en danger…
Deux décisions récentes des plus hautes juridictions judiciaires et administratives [3] entérinent le risque de requalification en salaires des gains réalisés par les managers au titre des participations qu’ils détiennent au capital de la société qui les emploie ou qu’ils dirigent.
1. Gains réalisés lors de la cession de BSA
Dans l’affaire soumise à la Cour de cassation, les managers avaient souscrit des bons de souscription d’actions [4] (BSA) à l’occasion du rapprochement entre la famille Barrière, Accor et le fonds Colony Capital.
Cinq années plus tard, lorsque le fonds Colony Capital est sorti du groupe, les managers ont cédé leurs BSA en réalisant une plus-value d’environ 2,7m€.
L’Urssaf, suivie par le tribunal des affaires de sécurité sociale et par la Cour d’appel de Paris, a soumis cette plus-value à cotisations sociales en considérant que ladite plus-value constituait un avantage réalisé à l’occasion ou en contrepartie du travail.
Cette approche est confirmée par la Cour de cassation qui prend toutefois soin de préciser que la plus-value tirée de la cession de BSA ne peut être considérée comme un avantage salarial que si les BSA ont été octroyés à des « conditions préférentielles ».
2. Gains réalisés en application d’une convention de partage de plus-value
Dans l’affaire soumise au Conseil d’Etat, le manager avait conclu une convention avec les fonds de capital-développement l’ayant accompagné dans une opération conjointe de rachat avec effet de levier [5].
Aux termes de cet accords, les fonds s’étaient engagés à lui rétrocéder une fraction de la plus-value qu’ils réaliseraient en cas de cession concomitante de leurs actions.
Trois années plus tard, lorsque tous les associés ont cédé leurs actions, l’application de la convention de rétrocession de plus-value a permis au manager de réaliser un gain d’environ 4,8m€.
L’administration fiscale a requalifié en salaire les sommes perçues par le manager en application de cette convention.
Elle est suivie dans cette analyse par le Conseil d’Etat qui retient que la fraction de la plus-value rétrocédée par les fonds avait la nature d’une rémunération destinée à rétribuer l’exercice par le manager de ses fonctions managériales et les performances en résultant.
Le Conseil d’Etat prend soin de préciser que la circonstance que ledit manager ait supporté un risque significatif en tant qu’investisseur – au titre des actions qu’il détenait aux côtés des fonds – et des garanties d’actifs et de passifs qu’il avait consenties ne remet pas en cause cette requalification.
Les conclusions à tirer de ces décisions récentes nous paraissent évidentes :
(i) plus l’investissement initial exigé des managers est conséquent et exempt d’avantages, moins le risque de requalification de leur plus-value en traitement et salaire (et d’assujettissement aux cotisations sociales) est important ;
(ii) seuls les régimes spécifiques (actions gratuites, bons de souscription de parts de créateur d’entreprise, stock-options et donations de titres aux salariés) offrent, en l’état actuel de la jurisprudence fiscale et sociale, suffisamment de sécurité juridique, sous réserve d’en respecter strictement les conditions et de se satisfaire du régime social et fiscal y attaché.
[1] Recensement économique annuel de l’actionnariat salarié dans les pays européens 2018, Fédération Européenne de l’Actionnariat Salarié (FEAS) – Disponible en téléchargement ici
[2] Le rapport de la FEAS relève tout de même que « le taux de démocratisation [de l’actionnariat salarié] a rebondi en France à la suite de la « Loi Macron« , illustrant l’élasticité de l’actionnariat salarié aux politiques fiscales ».
[3] Cour de cassation, civ. 2e, 4 avril 2019 ; 17-24.470 ; Conseil d’Etat, 15 février 2019, 408867
[4] Instruments financiers permettant de souscrire à une ou plusieurs actions dites « sous-jacentes » pendant une période donnée, dans une proportion et à un prix fixé à l’avance
[5] Leverage buy-out – LBO