23 novembre 2017
Responsabilité pénale des personnes morales : de quel représentant parle-t-on ?
Dans un arrêt rendu le 17 octobre 2017 (n°16.87-249), la chambre criminelle de la Cour de cassation consolide la jurisprudence bâtie depuis plusieurs années sur les conditions d’engagement de la responsabilité pénale d’une personne morale et apporte une pierre supplémentaire à l’édifice.
Deux salariés d’une entreprise de travaux publics travaillant sur la toiture d’un immeuble sans filet de protection font, le 13 août 2012, une chute de plusieurs mètres et sont sérieusement blessés. La personne morale est poursuivie des chefs de mise à disposition de travailleur d’équipement de travail ne permettant pas de préserver sa sécurité, et de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité temporaire totale n’excédant pas trois mois.
Si aucune faute n’est reprochée au gérant qui n’est même pas entendu dans le cadre de la procédure, les juridictions du fond constatent, au visa de l’article 706-43 du code de procédure pénale que le directeur salarié, engagé à compter du 1er janvier 2008, puis nommé en qualité de cogérant à compter du 15 juin 2013 était en mesure de représenter valablement la société tout au long de la procédure, sans qu’il soit besoin d’établir l’existence d’une quelconque délégation de pouvoirs, dès lors qu’il avait admis, au cours de l’enquête, un manquement dans la sécurité.
Cette décision a été censurée par la Cour de cassation dans les termes suivants :
« qu’en prononçant ainsi, sans mieux déterminer par quel organe ou représentant de la société les manquements à l’origine de l’accident, qu’elle a constatés, ont été commis pour le compte de celle-ci et sans rechercher, à cet égard, au besoin en ordonnant un supplément d’information, si M. Franck X…, dont elle a relevé qu’au moment des faits il n’était que directeur salarié, ou le chef d’équipe, auquel elle a imputé une faute d’abstention, était titulaire, quelle qu’en fût la forme, d’une délégation de pouvoirs en matière de sécurité de nature à lui conférer la qualité de représentant de la personne morale, et alors qu’était inopérante la circonstance que M. X… a valablement représenté la société au cours de la procédure, au sens de l’article 706-43 du code de procédure pénale, en sa qualité de cogérant acquise postérieurement à l’accident, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision au regard de l’article 121-2 du code pénal ».
Cette décision est dans la droite ligne de celles déjà rendues par la Haute Juridiction depuis 2014 et confirme, si besoin en était, l’abandon de la précédente jurisprudence, plus favorable aux victimes, selon laquelle la responsabilité pénale d’une personne morale pouvait être retenue dès lors que l’infraction n’avait pu être commise que par l’un de ses organes ou représentants.
La cour de cassation avait, en quelque sorte, érigé une présomption de rattachement de la faute pénale aux organes ou représentants de la personne morale, sans qu’il soit besoin d’identifier précisément la personne physique fautive.
Cette position est à nouveau et clairement condamnée par la Chambre criminelle dans une formule qui invite les juridictions d’instruction et du fond à rechercher quel organe ou quel représentant a commis la faute à l’origine du dommage.
Cette identification – qui doit se faire au besoin devant la juridiction de jugement en procédant à un supplément d’information – est, de fait, indispensable afin de s’assurer qu’au moment où elle commet la faute pénale, cette personne physique agit bien dans le cadre de ses fonctions et « pour le compte » de la personne morale qu’elle représente.
Car il est de jurisprudence constante que l’organe ou le représentant qui abuse de ses fonctions et poursuit un intérêt purement personnel trompe la personne morale qu’il est censé diriger ou représenter et ne peut, par ses agissements, engager la responsabilité pénale de celle-ci.
Encore faut-il, pour cela, qu’on sache de qui on parle…
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C’est sur ce point que l’arrêt apporte une précision salutaire, tant il n’est pas rare que les juridictions du fond confondent ces « représentants ».
L’organe ou le représentant susceptible d’engager, sur le fondement de l’article 121-2 du code pénal, la responsabilité pénale de la personne morale pour le compte de laquelle il a agi ne saurait se confondre avec le « représentant légal » de la personne morale désigné pour la représenter dans le cadre de poursuites pénales au visa de l’article 706-43 du code de procédure pénale.
Rappelons les textes concernés.
L’article 121-2 du code pénal pose le principe de la responsabilité pénale des personnes morales en ces termes : « les personnes morales, à l’exclusion de l’Etat, sont responsables pénalement, selon les distinctions des articles 121-4 à 121-7, des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants ».
L’article 706-43 du code de procédure pénale dispose :
« L’action publique est exercée à l’encontre de la personne morale prise en la personne de son représentant légal à l’époque des poursuites. Ce dernier représente la personne morale à tous les actes de la procédure. Toutefois, lorsque des poursuites pour des mêmes faits ou des faits connexes sont engagées à l’encontre du représentant légal, celui-ci peut saisir par requête le président du tribunal de grande instance aux fins de désignation d’un mandataire de justice pour représenter la personne morale.
La personne morale peut également être représentée par toute personne bénéficiant, conformément à la loi ou à ses statuts, d’une délégation de pouvoir à cet effet ».
Cet article répond à une évidence presque physique : la personne morale n’est faite ni de chair ni de sang et reste une « entité » impalpable si elle n’est pas représentée par une personne physique.
Dès lors, et assez naturellement, c’est le représentant légal de la société à l’époque des poursuites – ou la personne à laquelle il aura confié un pouvoir à cette fin – qui sera visé par la citation à comparaître délivrée à la société « prise en la personne de son représentant légal » selon la formule consacrée.
Mais ce représentant n’est pas nécessairement « l’organe ou le représentant » ayant commis la faute pénale sur laquelle se fonde les poursuites engagées contre la personne morale.
En l’espèce, le directeur salarié n’était ni organe ni représentant de la personne morale au moment de l’accident, ne bénéficiant d’aucune délégation de pouvoir et étant devenu gérant postérieurement.
S’il pouvait valablement représenter la société au cours de la procédure et y compris devant la juridiction de jugement au sens de l’article 706-43, étant à l’époque de la citation son représentant légal, cette seule qualité ne suffisait bien évidemment pas à en faire le « représentant » ayant commis les infractions visées dans la poursuite.
Pour condamner la société, encore fallait-il identifier précisément le « fautif », c’est-à-dire l’organe ou le représentant ayant commis une infraction pour le compte de la personne morale.